1793 - GUERRE DE VENDÉE

 

Abordons maintenant une période bien triste et troublée de l'Histoire de France dont l'ouest de notre pays subit les effets douloureux et sanglants, je veux parler de ce qui a été appelé "les guerres de l'ouest" ou "guerres de Vendée", bien que celles-ci n'aient pas affecté seulement l'actuel département de la Vendée, mais ce qui a été désigné sous le nom de "Vendée militaire" englobant les trois provinces de Bretagne, Anjou et Poitou et par la suite le Maine et la Normandie. Elles ont eu des péripéties particulières à Prinquiau.

 En ce mois de décembre 1793, l'armée Vendéenne, en retraite depuis le désastre du Mans, harcelée, talonnée par les troupes de la Convention, épuisée, retardée, alourdie par la présence de nombreuses femmes et enfants, manquant d'armes et de munitions, cherchait à traverser la Loire pour rejoindre sa "petite patrie". Les moyens lui ayant fait défaut, elle arrive, le 22 décembre aux abords de SAVENAY dont les hauteurs sont occupées par les soldats de Kléber, Marceau et Westermann. Les combats sont violents, acharnés. Les Vendéens reculent pied à pied et se retrouvent enfermés dans les murs de la ville. L'artillerie entre en action, les troupes républicaines envahissent Savenay.

C'est le massacre.

Un chroniqueur local l'a raconté : "Là, dans les rues, dans les maisons, le combat recommence avec fureur; le carnage devient horrible. Les Vendéens, sans ordres, sans chefs, n'obéissent qu'aux inspirations du moment, et, cernés ils tombent sous le fer des républicains. Cinq à six mille cadavres sont amoncelés dans les rues étroites et tortueuses de Savenay. Peu de Vendéens sortent de cette enceinte, où le sang ruisselle, et le petit nombre qui s'en échappe va se noyer dans le marais de Montoir. Canons, équipages, ambulances, tout tombe au pouvoir des républicains. La destruction de l'armée catholique est complète.

Après cet engagement, la ville de Savenay était affreuse à voir : toutes les maisons étaient ébranlées, toutes les murailles teintées de sang ou tapissées de cervelles. . .". Le 28 décembre, le général républicain Marceau écrivait au ministre de la guerre : "je t'ai dit la vérité en t'annonçant que la horde des rebelles était détruite sur la rive droite de la Loire : cette masse énorme a disparu. Le petit nombre de ceux qui avaient pu échapper au fer républicain, soit en se cachant, soit par la fuite, sont venus implorer la clémence des représentants, ou ont péri dans les bois que nos troupes ont parcouru en les poursuivant".

"Le petit nombre de ceux qui avaient pu échapper..." Il en vint jusqu'à Prinquiau... ils furent massacrés.

Vingt-et-un an passés, en 1816, le 27 mai, mon aïeul, le chevalier François ESPIVENT de PERRAN, maire de Prinquiau, écrivit au Sous-Préfet de Savenay:

"Monsieur le Sous-Préfet,

Une quantité assez considérable de soldats des armées royales de la Vendée ont péri et été enterrés en grand nombre dans cette commune après l'affaire de Savenay. Je désirerais, ainsi que M. Bourdic, obtenir la permission de faire la translation de leurs ossements dans le cimetière de notre commune".

L'autorisation ayant été accordée, voici comment s'effectua cette translation telle qu'elle est relatée au registre des délibérations du conseil municipal.


Délibérations du Conseil Municipal du 13 juin 1816

Relation des honneurs funéraires rendus le 13 juin 1816 par les habitants de PRINQUIAU aux dépouilles mortelles des Vendéens péris en grand nombre dans cette commune à la bataille de SAVENAY qui eut lieu le 22 décembre 1793.

Dès la première rentrée de S.M. Louis XVIII sur le trône de ses pères, M. DESMARS, recteur, M. ESPIVAN de PERRAN François, maire de ladite commune de Prinquiau, et M. BOURDIC Aîné, ancien officier vendéen, capitaine des Volontaires royaux de la division du comte de COISLIN et capitaine commandant la garde nationale de PRINQUIAU et de LA CHAPELLE LAUNAY, conçurent le désir de faire transférer dans le cimetière de la paroisse les restes des vendéens qui avaient été massacrés dans leur commune pendant et après I 'épouvantable affaire de SAVENAY en décembre 1793 et les premiers mois de 1794.

Des ordres furent donnés par M. Bourdic au garde-champêtre dès l'année dernière pour faire la recherche exacte des fosses, mais les événements malheureux de 1815 empêchèrent de suivre cette opération. Sitôt le retour à la tranquillité on continua à faire des recherches qui firent trouver 39 tombes. A peu près sûrs de les avoir toutes trouvées et après avoir obtenu pour l'exhumation la permission de MM. les vicaires généraux du diocèse et celles de M. le Préfet par l'intermédiaire de M. de KERMELLEC, Sous-Préfet de Savenay, le jour de la translation fut fixé au jeudi 13 du présent.

Aussitôt que le jour fut définitivement arrêté, M. le maire prit tout de suite l'arrêté suivant pour déterminer l'ordre à suivre dans le travail de l'exhumation:

ARTICLE 1 : Jeudi prochain 13 du présent nous ferons la translation des ossements des Vendéens péris dans cette commune, dans le cimetière de cette paroisse avec toute la solennité que mérite cette cérémonie religieuse.

ARTICLE 2 : Messieurs le Sous-Préfet de cet arrondissement et les membres du Conseil municipal et de la fabrique de cette commune sont invités à y assister.

ARTICLE 3 : Monsieur le Comte de CHEVIGNE, commandant de la Garde nationale de cet arrondissement sera également prié d'y assister.

ARTICLE 4 : La compagnie entière de la Garde nationale composée des deux commissaires sera sous les armes en grande tenue.

ARTICLE 5 : Dès la veille, c 'est-à-dire le mercredi 12 au soleil levant, un homme au moins par maison dans chaque section se rendra avec pelles et pioches dans les endroits de la section où se trouvent les tombes. MM. les commissaires nommés pour faire les recherches et sonder les fosses et qui ont la liste de leur nombre et de leur situation se trouveront sur les lieux pour indiquer où chacun doit travailler.

ARTICLE 6 : Les ossements seront de suite exhumés et mis dans les tombereaux sans que M. le recteur y soit, mais après l'exhumation tous ces tombereaux seront réunis sur un point dans chaque section, attendant que M. le recteur soit arrivé sur le lieu pour conduire les ossements à la Croix de la Foliette où ils seront réunis dans la journée.

ARTICLE 7 : Aussitôt après l'exhumation chacun pourra se retirer à son ouvrage. Seulement il restera le commissaire de la section et ceux qui devront conduire les tombereaux.

ARTICLE 8 : Tous les ossements resteront à la Croix de la Foliette dans les tombereaux couverts de linceuls et seront déposés pour la translation, autant que possible, dans une seule bière qui sera portée à bras par les habitants jusqu'à l'église et de là à l'excavation destinée à les recevoir.

ARTICLE 9 : Le capitaine voudra bien commander une garde à cette Croix qui y restera jusqu'au moment de la translation.

ARTICLE 10 : Des habitants ayant bœufs et tombereaux seront nommés par section pour conduire les ossements.

ARTICLE 11 : Considérant que la plus grande quantité de tombes se trouvent au Bois de Cême, ce qui exige un nombre plus considérable de travailleurs, la section de St Gilles qui n'a point d'exhumation se portera en entier audit Bois de Cême, c'est-à-dire qu'elle se réunira à celle de St Pierre.

ARTICLE 12 : Tous les habitants de cette commune qui ont assisté à l'enterrement des Vendéens ou qui ont connaissance des lieux où ils sont enterrés voudront bien se trouver sur les lieux afin de faciliter l'opération.

 ARTICLE 13 : Le garde-champétre se tiendra au bourg pour être à la disposition du maire à dater de ce jour jusqu'à nouvel ordre.

ARTICLE 14 : Dès le mercredi au soir la cloche annoncera par un son lugubre la cérémonie du lendemain.

 

CLOS ET ARRETE

Dès le 12 au soleil levant tous les hommes de la commune se portèrent par Section aux endroits désignés par leur commissaire.

Dans la seule section de St Pierre, il se trouvait en un seul endroit appelé "le Bois du Cême", appartenant à M. le maire, sept énormes fosses qui pouvaient contenir environ 500 victimes qui, après avoir rendu les armes sur la promesse qu'on leur faisait qu'elles auraient la vie sauve, furent entassées dans les maisons et écuries de ce village, puis fusillées et sabrées sans pitié ! ! ! Une seule fosse a exigé le travail constant de 10 hommes au moins pendant 8 à 10 heures pour en extraire les ossements qui se trouvaient rangés par 4 à 6 couches les unes sur les autres. On a trouvé dans ces fosses beaucoup de morceaux de vêtements dont on reconnaissait l'usage et même la couleur, des bas de soie entiers et encore très forts, des cordons de soie, des lambeaux d'étoffe de soie, des pipes, des peignes, un chapelet encore très bien conservé (il est à la statue de St Côme), des sabots poidevins, nullement pourris des cuillers en étain, des ciseaux, etc. On ne ressentit aucune odeur fétide, seulement doucereuse, et l'exhumation s'est faite sans accidents, mais a exigé un travail très pénible et très long et inspirant tout à la fois un sentiment de tristesse et d'horreur !!!...

Tous les os exhumés furent de suite mis dans les tombereaux puis réunis sur un seul point de chaque section.

Alors M. le recteur avec la croix et accompagné de M. Bourdic et d'un cavalier se rendit sur les lieux et conduisit tous les tombereaux, en passant dans toutes les sections, à une croix près le bourg où ils furent tous réunis dans la journée au nombre de onze et restèrent couverts de linceuls jusqu'au lendemain, jour de la translation.

Une bière de vingt pieds de long sur deux et demi de large et deux de hauteur avait été construite pour recevoir tous les ossements, mais elle ne put en contenir la moitié; le reste des tombereaux fut conduit à bras dans le cimetière et déchargé dans une excavation de 14 pieds de longueur sur quatre de profondeur et autant de largeur destinée à recevoir tous les ossements.

Le 13 à dix heures du matin, M. le Sous-Préfet, M. Massabion, lieutenant de la Gendarmerie et plusieurs officiers de la division du comte de Coislin, accompagné d'un détachement de gendarmerie arrivèrent à Prinquiau où déjà se trouvaient rendus les principaux magistrats de la ville de Savenay. Ils trouvèrent la garde nationale sous les armes et se rendirent à la cure où était un nombreux clergé.

Tout le cortège se réunit à l'église et de là se rendit, avec la croix au milieu de la garde nationale et suivi d'un nombre considérable de personnes tant de la commune que celles environnantes, à l'endroit où était déposée la bière. Dix-huit hommes se placèrent sur les brancards et après les prières de l'Église commencées, le convoi se mit en marche dans l'ordre suivant.

Sur cette bière recouverte en entier de linceul se trouvait, au milieu, un drap mortuaire dont les quatre coins furent portés par M. le Sous-Préfet, M. l'adjoint de la commune représentant M. le maire absent, M. le lieutenant de la gendarmerie, Chevalier de Saint Louis et de l'Ordre Royal de la Légion d'Honneur et M. Espivant de Perran Louis, Chevalier de Saint Louis. Quatre gendarmes étaient placés aux quatre coins des extrémités de la bière. Le clergé suivait immédiatement la croix. Le conseil municipal derrière la bière et MM. les autres magistrats et officiers venaient ensuite. Les gardes nationales fermaient la marche. Plus de 2.000 personnes suivaient dans le plus profond recueillement. Le convoi se rendit très lentement à l'église. La bière étant très pesante, les porteurs ôtaient obligés de changer souvent.

Le cercueil déposé au milieu de l'église toujours dans le même ordre, l'office des morts commença aussitôt et une messe solennelle fut chantée par M. le recteur de la commune qui à la fin fit un discours très touchant analogue à la circonstance, où il démontra l'obligation qu'ont les chrétiens pour leur propre intérêt de rendre la sépulture chrétienne à des martyrs de la foi et de la fidélité dont les dépouilles mortelles étaient sous nos yeux.

Après l'office, le convoi sortit de l'église dans le même ordre pour se rendre au lieu de l'excavation où étant arrivée, la bière a de suite été vidée. Les restes bien connus de M. le Chevalier Destouches, ancien Chef d'escadre, enveloppés séparément dans un linceul, sont restés sur le bord et après les dernières prières de l'Eglise et la bénédiction de M. le recteur sur les ossements, M. Bourdic, capitaine commandant la garde nationale a prononcé le discours suivant:

"Gardes nationales royales,

Dans les fastes les plus reculés du monde, dans toutes les pages de l'histoire même des siècles barbares, à peine trouve-t-on quelques traits qui puissent se rapprocher des atrocités commises par les républicains français de 1793. Néron fut moins sanguinaire, Alaric (1) moins barbare, Typhon (2) moins cruel. Ces révolutionnaires farouches ont surpassé tous ces monstres en cruauté et à mille crimes nouveaux, ils ont ajouté celui inconnu chez tous les peuples, le mépris des morts ! ! !, ravalés par leurs principes irreligieux à la condition des animaux; ces hommes de sang ne traitèrent pas différemment, après leur mort, ceux mêmes qui prodiguaient leur vie pour eux. Voilà soldats où conduit l'immoralité ; l'homme ennemi de son Dieu le devient de son roi et de son semblable, de là l'oubli de tous les devoirs et la source de tous les crimes.

Ces temps épouvantables viennent de finir par le retour miraculeux de notre roi légitime, Louis le Désiré qui, en ramenant les Français aux vrais principes, leur rappelant surtout ceux de notre sainte et antique religion, nous permet aujourd'hui de rendre les derniers devoirs à de braves défenseurs de l'autel et du trône, massacrés ou péris les armes à la main dans ces contrées, puis abandonnés sans sépulture ou entassés pêle-mêle dans d'énormes fosses et à peine recouverts d'une terre qu'un ministre du Dieu des armées n'a point été appelé à bénir pour recevoir des chrétiens. Sans doute la cérémonie lugubre qui nous rassemble rappelle des souvenirs déchirants, surtout à ceux qui ont été témoins de ces horreurs. Pourtant, soldats, il est consolant pour vous tous et pour moi en particulier de pouvoir aujourd'hui sans crainte donner la sépulture chrétienne à des frères d'armes, des amis, victimes de leur amour pour leur Dieu et pour le roi dont vous soutenez la cause et dont j'ai l'honneur de partager les travaux, les peines et les dangers. Je regrette de ne pouvoir en nommer aucun. Seulement je sais que les restes de M. le Chevalicr Destouches ancien Chef d'escadre, Cordon Rouge, sont sur le bord de cette fosse.

Puissent les parents, les amis de ces illustres victimes apprendre que les habitants de Prinquiau, si connus par leur entier dévouement à la famille royale des Bourbons se sont empressés, sitôt qu'il leur a été possible, de recueillir les dépouilles mortelles de ceux qu'ils pleurent pour les déposer solennellement dans le dernier asile destiné aux chrétiens. Puisse cet acte religieux diminuer l'amertume de leur regret !

Pour nous, soldats, honorons leur mémoire en imitant les exemples de fidélité et de dévouement qu'ils nous ont laissés et consolons leurs mânes en répétant devant eux le serment d'être à jamais fidèles à Dieu et à notre roi légitime.

VIVE LA RELIGION ! ! VIVE LE ROI ! ! !

Ce discours et un feu de file ont terminé cette cérémonie funèbre religieuse et imposante.

 Comte R. de Maîstre.


Le souvenir Vendéen, sous la Présidence de M. de DREUZY de St Florent leVieil conserve la flamme, recueillant et continuant les récits relatant une époque tumultueuse du soulèvement vendéen. Le Musée Dobrée à Nantes, comporte au deuxième étage du Palais Dobrée la reconstitution de ces événements. Nous y trouvons les noms des chefs en lutte, les costumes, les armes en une vaste collection.

L'énorme badge rouge arboré au côté gauche des Vendéens, en forme de deux cœurs juxtaposés se chevauchant voulait proclamer: un cœur pour Dieu, I 'autre pour le roi.

(1) Alaric: roi des WISIGHOTS.

(2) Typhon: dans l'Egypte ancienne, dieu du Mal, des Ténèbres, de la Stérilité, dans la mythologie grecque : monstre gigantesque qui combattit vainement Zeus.