L' ASSECHEMENT DES MARAIS

Un peu avant cette guerre de 1870, un événement important se produisit qui concerna en particulier Prinquiau. Je veux parler de 1'assèchement des marais de DONGES qui provoqua controverses et oppositions parfois fort vives. Mais il ne faut pas croire que cette opération eut lieu brutalement. En effet, vers 1771, Pierre- Augustin Camille DEBRAY, négociant à Paris, avait conçu le projet de dessèchement des marais de Donges, riverains de onze communes et s'étendant sur une longueur de 6 lieues, soit 24 km, environ, de l'Est à l'Ouest, et sur une largeur moyenne de deux lieues - 8 km - du Nord au Sud. S'il fallait relater toutes les péripéties qui se produisirent en la circonstance, il faudrait de nombreuses pages. Je m'en tiendrai donc à l'essentiel.

 Le 2 décembre 1771, M. Debray forma, par acte notarié à Nantes, une société sous la raison: "DEBRAY et Cie" avec quatre associés, chacun des cinq associés étant intéressé pour un cinquième. Cette société avait pour objet : "un dessèchement de tous les marais palus (1) et terres inondées de la vicomte de Donges au comté nantais affûtages (2) conjointement tant de Mme la marquise de QUERHOENT, vicomtesse de Donges, que du seigneur de BESNE". A la suite de diverses contestations, furent signés :

1° le traité de BESNE, en date du 23 août 1774,
2° le traité de PRINQUIAU, en date du 19 octobre 1774,
3° le traité d'ASSAC, en date du 10 novembre 1774,
4° la transaction sur procès du 6 décembre 1776.

C ' est ce dernier traité qui forma la base principale des conditions dans lesquelles s'est opéré le dessèchement des marais.

Ces divers traités, soumis à l'approbation du roi, furent approuvés par arrêt du conseil rendu le 4 janvier 1779.

Quand survint la Révolution, le dessèchement était loin d'être terminé, quelques travaux avaient été entrepris et le retard, apporté devint un ajournement indéfini. En 1807, le projet fut exhumé et une nouvelle société créée, le 22 février 1812. Mais ce n'est qu'au bout de cinq années que la société nouvelle obtint l'ordonnance de concession qui porte la date du 2 juillet 1817.

A la suite de cette ordonnance, le conseil municipal de Donges manifeste sa très vive opposition au dessèchement.

De son côté, mon aïeul François ESPIVENT de PERRAN, maire de Prinquiau, écrit, le 14 novembre 1817, au Sous-Préfet, la lettre suivante :

"M. le Sous-Préfet,

Intimement persuadé que l'ordonnance du roi du 2 juillet 1817, relative au dessèchement des marais de Donges et autres, est plus préjudiciable aux intérêts de mes administrés et particulièrement aux pauvres, qu'avantageuse au gouvernement sous aucun rapport, et seulement dans les vues de favoriser une compagnie qui cherche à nous enlever la moitié de nos marais dont la garantie et propriété nous a été pour toujours assurée par lettres patentes (3) de S.M. Louis XVI du 28 janvier 1774 qui est entre mes mains. Je ne peux, contre les intérêts de mes administres, favoriser de mon influence ceux des projets de cette compagnie et pour que vous en soyez bien persuadé et connaissiez à cet égard mon opinion, je vous renvoie tous les papiers concernant le dessèchement, afin que vous puissiez les adresser à quelqu'un plus porté que moi à vous seconder dans ce genre de bienfait pour la commune.

Je regrette, Monsieur, de ne pouvoir vous être utile dans cette occasion, mais pour servir la cupidité d'étrangers ambitieux, je n'attirerai pas sur moi, la haine de tous mes concitoyens".

Il proteste encore en mars et avril 1818. Puis un pourvoi fut formé au comité du contentieux du Conseil d'Etat, qui fut rejeté le ler décembre 1819. De nombreux procès furent alors intentés, mais malgré les difficultés infinies suscitées, les dessécheurs se mirent à l'œuvre et achevèrent les travaux de dessèchement. Ceux- ci furent reçus le 10 juin 1825 suivant procès-verbal dans lequel on peut lire : "les canaux exécutés par la compagnie ont, ensemble 83.631 mètres de longueur totale développée dont quatre canaux de navigation d'une longueur totale de 46.958 mètres, parmi lesquels celui de l'écluse de la Taillée. Puis en 1827, la compagnie proposa des partages conformément aux anciens traités. Dans la décision rendue en cette occasion, la commission spéciale, en envoyant les communes et la compagnie en possession des terrains qui leur étaient attribués, déclara qu'elles en jouiraient en pleine et absolue propriété, conformément à la loi, ainsi qu'aux clauses et conditions établies aux traités et ordonnances.

 Certains demanderont peut-être ce qu'est cette tourbe. Quelle est son origine. J'emprunte à M. Léon MAITRE, le savant archéologue, quelques indications à ce sujet, extraites de son ouvrage : "les villes disparues du département de la Loire -Inférieure". Léon MAITRE compare tout d'abord le bassin tourbier au lac salé appelé "le Traict du Croisic". Il estime qu'ils sont de formation géologique contemporaine et remontent à l'ère primaire, commencée il y a environ 500 millions d'années et terminée 280 millions d'années après. La mer les a remplis tous deux à l'origine du globe, puis elle s'est retirée, laissant à découvert une immense dépression de terrain légèrement vallonnée dans laquelle se déversaient les eaux de tous les coteaux environnants.

Son estuaire, placé au Sud, d'abord ouvert de St-Nazaire à Montoir, s'est fermé peu à peu par cette large barrière d'alluvions qui forme le sous-sol des prairies de Méan et de Trignac et, quand parut la période quaternaire - il y a 2 millions d'années environ - il ne lui restait que la brèche ouverte par l'étier de Méan. C'est alors que s'est formé un réservoir très étendu d'eau douce stagnante, peu profond, dans lequel la plante aquatique appelée la "sphaigne" prit naissance, se développa, mourut et reparut tour à tour pendant des centaines d'années pour former, en se décomposant, un combustible ligneux, compact et riche en pouvoir calorifique. C'est la tourbe.

Quant aux gros arbres nombreux, d'essences diverses que l'on trouve avec leurs racines et leurs branches, dans la tourbe, on suppose qu'ils proviennent d'une forêt renversée. Beaucoup, en effet, sont brisés et montrent ainsi qu'ils sont tombés sous un choc violent. Des vents impétueux se seraient déchaînés, accompagnés de tremblements de terre, d'une grande inondation et tous les arbres auraient été déracinés et précipitées dans les parties basses. L'historien RIMOIN (4), qui vivait au début de l'an 1000, écrit dans ses Annales : "les inondations de la Loire ont été, en 580, supérieures aux précédentes et le vent souffla avec tant de violence qu'il renversa des forêts". La tempête que nous avons subie dans la nuit du 15 au 16 octobre 1987 de cette année montre à l'évidence ce que peuvent des vents soufflant à près de 200 km/heure.


Histoire contemporaine

Reprenons maintenant le cours de l'Histoire et nous arrivons à "la Grande Guerre" celle de 1914-1918. Oui, encore une ! Elle n'a cependant pas affecté spécialement Prinquiau si ce n'est par le nombre de ses enfants qui y ont laissé leur vie ou sont revenus marqués dans leur chair. Il suffit de regarder nos monuments aux morts, tant celui qui a été érigé au pied de l'église que celui qui se trouve à 1 'intérieur de celle-ci. Après cette guerre, la vie reprend son cours. A Prinquiau, elle est essentiellement rurale, rythmée par les travaux des champs suivant les saisons, animée par les fêtes, les foires, le passage de ceux qui exercent encore de petits métiers: rétameurs et réparateurs de faïences et de porcelaines, marchands de chiffons, vieux habits et peaux de lapins - les "pillaouër" en breton, le bouilleur de cru, les rémouleurs, etc...

(1) Palus: marais - à rapprocher de "paludier".
(2) Afféagés: terres nobles cédées moyennant une redevance.
(3) Lettres Patentes : lettres revêtues du grand sceau de l'Etat, que le roi adressait ouvertes aux parlements.
(4) RIMOIN: historien français vivant dans les années 1008, auteur d'une "Histoire des Francs".