Les meuniers

Le travail du meunier était conditionné par le vent, il devait saisir cette force naturelle qui allait entraîner les ailes du moulin et mouvoir les meules.

Les moulins du "Haut" bien exposés sur leur crête prenaient bien le vent. Au "Tertre" et à la "Branche" il fallait être très attentif à son souffle. Un des meuniers, plaçait la nuit le panneau devant la cheminée, si celui-ci s'agitait, les vibrations le réveillaient, il prenait sa lanterne et partait au moulin. Cependant, il arrivait l'été qu'une brise océanique, de quelques heures, le temps de la marée, ne fasse tourner que les moulin du "Bas"; à l'étonnement des meuniers !

Si dans la semaine, nuit et jour, surtout dans les moments de presse, il fallait guetter cette énergie, le repos dominical était respecté. Chacun se souvenait, à Prinquiau, d'un moulin en service le dimanche des Rameaux, frappé par la foudre.

Au moulin le meunier faisait pivoter le toit avec la perche appuyée au sol, pour orienter les vergues (1) face au vent. Cette manœuvre assez pénible était faite, parfois, en attelant un âne ou un cheval. Pour les moulins récents elle se faisait par un mécanisme intérieur. Il faisait monter les sacs de céréales, pour alimenter les trémies, par un système de poulies. Ceux-ci traversaient les étages par des trappes découpées en demi-lune dans les planchers. Le moulin en marche faisait entendre son tic-tac et le meunier devait assurer une surveillance continuelle. Le vent capricieux pouvait changer d'orientation et faire tourner les vergues à l'envers. Certains moulins avaient des repères: souvent deux plaquettes de bois qui se faisaient face, en haut, à I 'extérieur, si elles se heurtaient, le vent tournait et il fallait, à nouveau orienter les ailes. Un système de régulation avec deux boules sur un bâtis qui s'écartait à fond faisait office de freins. Quand les trémies étaient vides une sonnette d ' alarme retentissait et, à nouveau, les sacs de céréales montaient pour aller s'écraser sous les meules. Cette mécanique, si bien conçue, devait être entretenue. Régulièrement des garçons-meuniers passaient dans les moulins de la région et assuraient le "rayonnage" des meules. Ceux-ci restaient parfois plusieurs jours et étaient hébergés chez le meunier. Un autre professionnel, I'amoulageur, faisait les réparations ou changeait les pièces. La famille ALLETZ de Pontchâteau a longtemps assuré ce travail à Prinquiau.

Le temps calme était réservé aux tournées. L'accès dans les villages, par des chemins impraticables, surtout l'hiver, a été longtemps fait à pied avec un âne, ou un cheval, chargé de son bât. L'état des chemins s'est amélioré vers 1850 et les meuniers ont acheté une carriole. La tournée se faisait aux alentours du moulin et au- delà des limites de la commune. Ils avaient des "pratiques" (2) dans des villages de Besné et de Donges. Des meuniers des communes avoisinantes: Campbon et Besné passaient aussi sur Prinquiau.

Ses rencontres dans les villages le rendait populaire, il voyait "du monde" et connaissait les nouvelles. Souvent farceur et blagueur il était bien accueilli. Il rapportait la farine et le son dans un sac où le nom de chaque fermier était porté. Il demandait: "y-a-ty quéque chose ?" si oui, il montait au grenier et trouvait la pochée sur la bascule. La plupart des familles livrait le grain au meunier de passage et ne faisait pas de jaloux, d'autres le réservait à un parent ou à un ami de leur choix.

Si la concurrence existait, leurs relations n'en étaient pas affectées, les meuniers de la "Branche" et du "Tertre" s'échangeaient des céréales, si un de leur moulin ne pouvait tout assurer.

Très souvent les meunières remplaçaient leur mari et partaient faire les livraisons. Comme toutes les femmes de la campagne elles ont su, elles aussi, prendre la relève pendant la guerre de 1914-1918 et assurer, en l'absence dos hommes, mouture et tournées.

A Prinquiau, la voiture à cheval s'est généralisée après la première guerre mondiale. Les meunières, avec leur carriole, ont assuré pendant longtemps le transport au marché de Savenay le mercredi. Elles emmenaient, chaque semaine, cinq à six fermières des environs qui allaient vendre leurs volailles, bourre et oeufs sous les halles. Elles ne rentraient qu'en fin d'après-midi après avoir vendu et acheté. Parfois, les jours de foire, l'achat de petits cochons animaient le retour de cris perçants.

Le meunier se payait en nature. Il prélevait sur la farine le prix de la mouture. La retenue était plus importante s'il devait assurer le transport, si le blé était déposé et la farine reprise au moulin le prélèvement était inférieur.

Chaque année les meuniers de Prinquiau étaient convoqués par la "Vérification des Poids et des Mesures" pour le contrôle de leurs bascules et de leurs poids.

Ils se présentaient ensemble, le même jour, à la même heure à la mairie. Les instruments de mesure inspectés étaient poinçonnés. Si quelques rivalités existaient, entre eux, elles s'aplanissaient ce jour-là. Ils fêtaient ensemble cette journée de retrouvailles et allaient trinquer dans les cinq ou six buvettes de l'époque. Là, non plus, il ne fallait pas faire de jaloux, une visite à chacune n'était pas de trop !

Un autre signe d'amitié se manifestait aussi au décès de l'un d'eux les ailes des moulins se mettaient en croix et s'orientaient vers la maison du défunt.

L'installation des minoteries à Besné et à Savenay, mues à l'électricité, a fait tomber les moulins en désuétude. Les ailes se sont définitivement mises en croix. De plus, un impôt taxait, tous les moulins reconnus en état de marche, malgré leur inactivité. Après avoir été la richesse et la fierté du meunier, ils devenaient une charge inutile. Victimes du progrès, ils se sont écroulés, pour la plupart, sous l'explosion de la mine, en un amas de pierres.

Annick RIOT
Témoignages reçus de Mme Alice Jagu épouse Robin fille de meunier
M. Joseph Piraud gendre de meunier
M. Léon Macé ancien garde-champêtre.

(1) pièces de bois traversant en croix la pièce de bois horizontale principale appelée "Marbre". Ces ailes dotées de plaques mobiles à géométrie variable suivant la force du vent.
(2) les clients