LE TRAVAIL de la TOURBE

Si la zone marécageuse qui s'étend à l'ouest et au sud de la commune faisait recenser, jusqu'en 1850, des cas de paludisme parmi les habitants elle a été, par ailleurs, une source de vie.

La pêche, la chasse, dans les temps les plus anciens, l'élevage et la culture, après l'assèchement par la Société Debray vers 1825, se sont développés. Après le Blocus Continental, sous Napoléon 1er, la France a introduit des cultures nouvelles comme la betterave sucrière. Les marais de Pouët, proches du canal, ont été choisis comme lieux d'exploitation. Les roseaux et les débris végétaux, appelés "le dessus", ont été brûlés, enterrés par le labour et ont servi d'engrais, à la récolte, les betteraves étaient expédiées par bateaux d Nantes, par le canal de la Taillée, ou à Besné à la distillerie du Pingliau.

 Mais le marais offrait d'autres richesses aux prinquelais : les roseaux pour la couverture des maisons, la litière pour les animaux et, sous leurs pieds, s'étalait la tourbe, communément appelée "la motte", celle-ci allait, pendant des siècles, leur servir de combustible.

 

LA MOTTE

Le marais de l'Hirondelle, à l'ouest, a été entièrement défonce, par des exploitations séculaires. Il a été criblé d'excavations irrégulières par des tourbages effectués sans aucun ordre. Le marais du sud, appelé le marais à "Ros" a été utilisé pour la coupe des roseaux qui servaient à la couverture des maisons, construction de loges (1), etc. Il n'a été ouvert au tourbage que vers 1860.

 L'extraction de la tourbe a été réglementée au XlXème siècle, la commune devait, chaque année, en faire la demande au Préfet et des dates limites étaient fixées, très souvent entre le ler et 31 juillet (période entre la fenaison et la moisson). Exceptionnellement, pendant la guerre de 1914-1918, la main-d'œuvre étant rare, les délais ont été allongés de 15 à 30 jours. Les familles qui ne pouvaient pas extraire leur tourbe pendant la période fixée avaient recours à des journaliers, ceux-ci étaient payés le double d'une journée ordinaire.

 En 1928, pour la protection de cette tourbe, le conseil municipal décide, que la moitié seulement de la population tourbera chaque année, à raison de deux frairies, par exemple frairie de Saint-Gilles et frairie de Saint-Pierre, l'année suivante : frairie de Notre-Dame et frairie de Saint-Cosme.

 La part de tourbe était d'environ 8 m2 par "feu" (c'est-à-dire par famille). Avant l'ouverture du tourbage le garde-champêtre traçait à la chaîne d'arpenteur la part réservée 4m x 2m et la délimitait par des piquets. Le ticket délivré par la mairie, octroyant ce droit, était remis sur les lieux au garde-champêtre. Les familles qui n'étaient pas intéressées par ce combustible pouvaient céder cet avantage communal à des personnes de leur choix.

Le calme et la solitude règnent aujourd'hui dans nos marais, mais, autrefois, ils étaient très animés pendant la période estivale. Ils se couvraient les jours de "motte" d'une véritable fourmilière. C'étaient des lieux de rencontres où les habitants du Haut et du Bas-Prinquiau faisaient connaissance.

Toute la famille allait faire la "motte" : hommes, femmes, enfants, à pieds pour les plus proches, en roulant les brouettes; en charrettes pour les familles les plus éloignées. On emportait le repas du midi : des potées de soupe de lait, du vin ou du cidre dans des touques de grès, elles étaient mises au frais dans un trou. Le cheval avait sa ration de foin, arrivé sur les lieux, il était "poté" (2) pour qu'il ne s'éloigne pas en paissant.

L es hommes commençaient à "écrucher" (3), à la pelle, le banc de terre, formé de roseaux, racines, débris végétaux... et à creuser sur une épaisseur de 40 à 50 centimètres avant de découvrir la tourbe noirâtre, gorgée d'eau qu'il fallait découper. Elle existait sur une couche d'environ 80 cm de hauteur plus profond, c'était de la terre

Trois outils étaient utilisés:

1 - La marre, pour les habitués, coupait et levait la motte du même mouvement. Celui-ci était dangereux, mais efficace. Il fallait la lancer avec précision, la lame passait près des jambes. Les mottes ainsi découpées avaient les angles arrondis.
2 - Le salais, plus récent, sorte de couteau à foin à manche et poignées, taillait la motte verticalement en carrés de 25 cm.
3 - La houlette, pelle plate au fil tranchant, terminait la coupe, taillait à l'horizontale et les jetait sur le bord de la fosse.

L'eau s'infiltrait dans la fosse et les coupeurs de tourbe, pieds nus dans cette bouillie noire devaient souvent se débarrasser des sangsues qui se collaient aux jambes. Les femmes et les enfants prenaient les mottes découpées sur le bord, les plaçaient dans des brouettes et les étalaient à sécher, par rangées, en laissant un espace pour faciliter le séchage.

La tourbe découverte était de qualité différente selon le lieu, la plus belle était la plus dure, parfois des racines de saule la dégradait. La tourbe extraite des marais de Prinquiau était de qualité inférieure à celle de la Brière.

Des troncs d'arbres entiers appelés mortas, ensevelis par les eaux depuis des siècles étaient parfois découverts en creusant. Ces bois fossiles étaient noirs et mous comme la tourbe, mais exposés à l'air ils devenaient durs et imputrescibles. Dommage pour ceux qui les trouvaient dans leur part, la quantité de "mottes" était réduite.

La journée au marais était un jour de fête, surtout pour les jeunes, on y voyait du "monde", les prinquelais "prêchaient" (4) entre eux, apprenaient des nouvelles, les enfants allaient se mouiller les jambes dans les canaux ou faire un peu de pêche, si la boisson manquait, la ferme du "Bois de Sem" en vendait pour ce jour-là ; mais creuser, tailler, rouler les brouettes sur un sol inégal toute la journée, souvent sous la chaleur était épuisant. Chacun rentrait les membres rompus mais le cœur heureux d'avoir fait son "ouvrage".

Plusieurs fois dans l'été il fallait retourner au marais pour changer les mottes de côté, les grouper trois par trois et ensuite en tas, soit en "mouches", sorte d'igloos d'un mètre de haut avec des "jours" pour faciliter le séchage, ou en murettes, avec des rangées de mottes en appui, recouvertes de branchages. Chaque famille dressait ses mottes différemment pour mieux les identifier au ramassage.

Vers le mois de septembre les familles retournaient au marais et faisaient le chargement des mottes bien sèches, dans les tombereaux. Un abri à mottes, fait en bois léger de 1 m 50 de haut couvert de roseaux les recevait avant leur combustion.

 Elles allaient assurer le chauffage de la maison, dans le foyer où elles se consumaient sans surveillance, très appréciées pour la cuisson des pommes de terre dans le chaudron ou l'hiver dans les chauffe-pieds. Elles enfumeront certainement la pièce, dégageront une odeur de marais, répandront une lueur verdâtre sur les visages, mais les prinquelais y sont habitués et très attachés.

En 1860, n'ont-ils pas évoqué leurs déplacement au marais pour obtenir un passage à niveau au chemin de la Hauture, aujourd'hui le "Rocher" ?

Après une pétition signée par la population le conseil municipal a demandé au Sous-Préfet de Savenay :

"que la Compagnie des Chemins de Fer s'abstienne de toucher à ce chemin ou qu'elle laisse un passage à niveau à l'endroit où il est coupé par la voie ferrée. ..
"Ce chemin intéresse d'une manière toute particulière la grande majorité des habitants de Prinquiau, puisque ceux-ci n'ont pas d'autre voie pour se rendre au marais où ils vont extraire, préparer et chercher la tourbe qui leur sert de combustible; ce qui nécessite chaque année quatre à cinq et jusqu'à six voyages par famille".

Elle était exigeante cette tourbe mais, chère aux Prinquelais. Pourtant, l'essor industriel qui s'amorçait à Prinquiau par le passage du chemin de fer allait, par la suite, changer aussi la vie des habitants.

Vers 1925 les cuisinières à charbon se sont installées dans les maisons, vers 1946, les réchauds électriques et à gaz butane servaient à l'usage domestique.

Progressivement, les cheminées se sont fermées et la tourbe n'avait plus sa place. Les prinquelais l'ont abandonnée en 1947. Le marais ne résonne plus des rires, des cris ou des éclats de voix des jours de "motte" et celle-ci s'étend désormais paisiblement sous les roseaux.

d'après les témoignages de :
Madame Marguerite Gérard de Sem le 30.12.1985 aujourd'hui décédée.
Monsieur Léon Macé ancien garde-champêtre.
Archives municipales.
(d'après le livre "Brière de Brumes et de rêves" F. Guériff)

Annick RIOT

Le plus vieux document écrit qui fasse mention du bassin tourbeux est une ordonnance bretonne de ] 461, dans laquelle on lit que: depuis un temps immémorial, les habitants des dix--sept paroisses riveraines étaient dans l'usage de couper des mottes pour leur chauffage.

(1) loges: constructions légères servant d'abri au matériel de la ferme.
(2) attaché par une longue Champ laquelle solidaire à une barre de fer enfoncée dans le sol.
(3) parer - enlever.
(4) parlaient